Au début c'était comme un jeu

J'avais commencé à écrire ça en août. En fait c'est pas mal.

[Anorexie]



Au début c'était comme un jeu qui n'avait aucun sens.
Personne ne t'aurais pris au sérieux - quoi, anorexique, on ne tombe pas anorexique, on est anorexique quand on est assez maigre, tu n'es pas assez maigre, alors à quoi tu joues.

Tu t'es lié aux chiffres. Au contrôle. Aux listes.
Restriction.
Interdit.
Soustraction.
Graphiques. Tableurs. Calculs. Mesures.

Puis les crises, planifiées, comme une porte de sortie, comme pour te prouver que dans ta folie du contrôle tu contrôlais encore ta chute.
Comme si t'étais pas déjà parti au-delà du poids, des chiffres, comme si tu voulais pas juste te persécuter tout le temps.

Des années après.

Les mois où il est impossible de ne pas manger.
Les mois où il est impossible d'avaler.
Ton corps qui prend sa propre respiration.
Les mois de haine.
Les mois de haine.

Parfois c'est presque sain vu de l'extérieur - oui je ne mange que des fruits et des légumes, crus, voyez-vous je suis un garçon pur et pas du tout malsain, ni amer.
La pureté qui remplace la maigreur. Qui a toujours remplacé la maigreur.
Un jour sur deux, tu manges. Un repas sur deux. Les heures de jeûne pour compenser les calories en trop. T'as un tableau de combien d'heures tu dois jeûner suivant ce que t'as mangé. Tu le respectes pas. Tu jeûnes au pif, tu manges au pif.
Marre des chiffres.

Marre de la balance qui ne se plie plus comme avant à tes moindres calculs parce que tu calcules de travers parce que t'as peur, maintenant.
Marre du corps qui refuse de rétrécir. Marre des épaules qui se carrent, des biceps qui tendent la peau, des muscles qui se dessinent. Marre de ce corps qui se déploie, marre de cette sensation d'exister dedans.
Disparaît, tu voudrais l'étrangler avec ton mètre-ruban, disparaît, arrête d'être là. T'es pas moi, tu seras jamais moi, mais j'en ai marre de te combattre.
Disparaît.
Redevient des chiffres sans chair. C'était plus facile.
C'était plus facile ?

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