I will swallow

La famille acceptante, tout à coup.
Les béquilles.
La défense.
L'aide.
Moi, je n'étais pas préparé à ça.
Moi je n'étais préparé qu'à la solitude, à sortir les crocs, à arracher les mots de ma gorge pour vous les jeter en pleine face.
Moi je n'étais que du feu et de la rage au bord de l'explosion.

Retour en arrière.

Début des douleurs et longtemps, longtemps après, des labyrinthes du diagnostique.
J'avais mal à en mourir.
J'avais mal à n'en plus exister.
J'ai eu l'infini chance d'être enfin entendu.
Et le malheur infiniment commun de n'être pas soigné.
Parce que j'avais appris de vous qu'il ne fallait pas se plaindre. Parce que j'avais appris de vous que prendre des médicaments c'était être faible. Parce que j'avais appris de vous que jamais je ne faisais les choses bien.
J'ai appris d'autres - et c'était des mots doux comme de la forêt, des mots qui m'ont sauvés - j'ai appris d'autres que j'avais vraiment mal. Que je pouvais être entendu et pas négligé. Que j'avais le droit de prendre soin de moi. De découvrir cette douleur au lieu de la taire. De m'approprier ces mots interdits - handicapé, malade, handicapé.
Mais c'était contre vous. Tout ce que j'ai fais, c'était toujours contre vous. Contre votre pitié. Contre votre affliction. Contre votre déception. Contre votre validisme.
Si je le vis bien, alors vous accepterez de m'écouter. Si je le vis bien, alors vous accepterez que j'ai raison.

Je ne le vivais pas bien.
La douleur me chassait hors de ma tête.
La douleur m'a volé une partie de mon avenir et de ma vie.
La douleur m'avait volé moi, à un moment.

Quand j'ai été mal diagnostiqué pour la première fois, j'ai cru qu'il me restait dix ans à vivre.
C'est pas très long, dix ans.
C'est pas très long, dix ans, quand tu en as vingt-deux.
J'ai rien dit.
J'avais trop peur.
J'avais trop peur, et de toute façon celles qui étaient là ne pouvaient pas l'être parce que c'est tabou, la maladie qui te vole les gens qui t'aiment, j'avais trop peur et tout ce à quoi j'ai pensé c'est "je ne veux pas être un fardeau il faut ravaler tout ravaler montre aux gens que tu le vis bien et que tout va bien".
Et puis les mots sclérodermie ont volé au-dessus de ta tête.
Faux diagnostique.
Faux diagnostique.
Tu peux revivre.

Alors j'étais encore plus obligé d'être heureux, tu vois.

De tout bien vivre. De tout bien prendre.
La fatigue. Les crises. Tout qui empire, malgré les traitements, parce que rien ne marche.
Tout encaisser, tout encaisser, tout encaisser.
Seul.

A un moment j'ai éclaté.
Si, ça avait été un drame, ça avait été douloureux, violent, j'étais seul, j'avais eu aucun soutien, j'avais dû mettre ma vie en pause, je m'étais jeté dans des relations abusives pour y échapper, j'avais encaissé votre validisme et fait ma pédagogie, sagement, regarde je suis handi et heureux regarde REGARDE REGARDE.

Non.
Assez d'être toujours heureux.
Assez de prendre sur moi pour vous réconforter, vous.
Parce que j'avais besoin qu'on m'aide. J'avais besoin qu'on m'écoute. J'avais besoin qu'on me demande comment j'allais. J'avais besoin qu'on en parle. Mais vous n'étiez jamais là où il fallait.
Et maintenant, j'ai du soutien, et ma colère veut éclater.
Et vous ne comprendriez pas.
Qu'il me reste des larmes à verser sur mon passé avant de pouvoir vivre.
Que j'ai ce moi seul et perdu au fond de moi qui a besoin de hurler avant que je puisse accepter l'amour le soutien la douceur.

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