"Peut mieux faire"

C'était toujours la même rengaine. Tu peux mieux faire, tu peux mieux faire, tu peux mieux faire.
C'était jamais "tu fais assez".

22 ans et toujours l'impression de n'être qu'un potentiel gâché. Un seul roman écrit, pas publié, parce que peut mieux faire. Un an de master redoublé à cause de handicap et peut mieux faire.
Mes tentatives de guérisons ? Peut mieux faire.

Jamais assez. Brouillon. Si seulement tu avais pris ton temps. Si seulement tu faisais les choses à l'avance. Si seulement tu faisais tout comme il faut, hein. Alors tu serais socialement acceptable, alors tu serais notre réussite qu'on pourrait exhiber comme un trophée - les mêmes qui s'empilent dans ta chambre d'enfant et qui ne veulent rien dire.
Premier puis dernier, au gré de tes envies. Les réussites ne veulent rien dire. Rien ne demande de vrai effort, alors je ne vaux rien. De toute façon je ne fais rien de parfait, alors je ne vaux rien.
"Du potentiel"

Du potentiel pour quoi faire ? Puisqu'on m'enferme toute la journée et qu'on m'apprend à ne pas exploiter ce potentiel, justement ? Puisqu'on m'arrache à mes livres, puisqu'on me jette dans des exercices qui vont lentement, lentement, toujours trop lentement. Qui pompent toute mon énergie, toute ma créativité, toute mon envie de vivre.
Peut mieux faire.
Sans prendre en compte que je suis en guerre contre moi parce que je sais que je pourrais être celle que vous attendez, la parfaite petite bonne élève silencieuse et dans son coin, mais que je n'y arrive plus.
J'explose.
En vagues de sang. De vomi.  De couleurs. De noir.
Je renonce. Je ne serais jamais parfaite pour vous.
Année après année, j'apprends à renoncer un peu plus.
Je ne suis pas neurotypique.
Je ne suis pas hétéro.
Je ne suis pas cis.
Je ne suis pas valide.
Je brise tous vos espoirs me concernant.
J'échoue à être ce que vous vouliez. J'échoue, j'échoue, j'échoue. Je cours loin de vos mensonges - non, je ne peux pas mieux faire, je fais exactement ce que je dois faire, ce que je peux faire, ce que je sais faire - je trouve mon équilibre, mon bonheur, mon amour pour moi loin de vous.

Et pourtant.
Je vous ai à l'intérieur de moi, enlacé dans mes cellules, un concert qui ne s'arrête jamais, je ne serais jamais assez, le monde va m'écraser si je ne fais pas mieux, si je ne fais pas plus, si je ne me répare pas. C'est la même rengaine, encore et encore, partout où je vais : je n'ai pas ma place parce que je ne suis jamais cassé de la bonne manière. Parce que je ne suis pas torturé comme il faut pour être un artiste et mettre toute ma vie dedans. Parce que je ne peux pas laisser la colère submerger mon corps et militer comme il faudrait et briser la société et fuir - mon corps-traître ne me laissera pas faire. Je dois pactiser avec l'ennemi, nuancer, me cacher, me caméléoner, parce que je dois survivre, avant tout.
22 ans, diplômé en existence, option cape d'invisibilité.
Option lâche.
Option devrait mieux faire.

Commentaires

  1. On s'est déjà croisé dans le passé. Peu importe qui tu étais, j'avais sincèrement apprécié nos conversations, qui me faisait relativiser sur le fait que dans un monde décroché de nous, il subsiste quelques rares individus qui sont capables de nous comprendre. Ce n'est qu'en remontant mes mails tout à l'heure, bien au delà d'aujourd'hui, que j'ai vu nos échanges. J'ai eu une once d'inquiétude, me demandant si j'arriverais à te retrouver, si tu étais mort ? Oui, en fait j'avais trop peur que tu aies quitté ce monde... Tu m'en vois rassurée, vu que je suis là. Tes textes sont toujours aussi prenant. Continue de croire en toi, j'espère que tes talents d'écritures auront un jour la visibilité qu'ils méritent. Et qu'un jour peut-être la vie te, nous, laissera une place, une place tant chérie dans cette chose que l'on appelle "Système" ou "Société".
    Signé, une dépressive qui se sent insoignable, qui ne sait toujours pas où sa vie la mène, malgré son entrée en master et son envie de tout plaquer pour dessiner.
    PS : prend soin de toi.

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